Du 12 avril au 12 mai, la galerie Grand E’terna consacre une exposition intitulée Le paradigme de la transparence à l’artiste japonais Muneki Suzuki.
Les œuvres de Muneki Suzuki sont flottantes. Au dessus de la toile, se tient une plaque de plexiglas légère et translucide sur laquelle sont imprimés des motifs géométriques de couleurs éclatantes jaunes, roses, verts et bleus. Les carrés, rangés à la file indienne en 5 x 5, manquent chacun d’un angle, si bien qu’ils semblent se prendre par la main pour danser. Leurs ombres douces et floutées se projettent sur la toile immaculée solide, quelques centimètres de vide en dessous. La rationalité mathématique et froide de la construction géométrique se disloque et se dissout dans les ombres claires aux allures de poussières. Les formes se dédoublent, notre vision aussi.
Géométrique, et pourtant onirique, l’œuvre agit comme un effet d’optique : les lignes répétitives aplatissent les deux surfaces sur un même plan. Nous ne savons plus si notre œil se pose sur la toile, ou sur le plexiglas ou même si ces derniers existent. Les ombres paraissent tantôt dessinées au feutre gris, tantôt virtuelles. Le volume semble irréel. Nos yeux décrochent les traits graphiques : ils flottent sans surface, comme suspendus au grain de l’air. Le dessin se passe de matière, insaisissable et saisissant.
La construction est labyrinthique, digne d’un jeu d’enfant, dans lequel il s’agit de retrouver, de la pointe de son crayon, le chemin de la sortie. Ces routes brisées, décalées, irraisonnées, nous désorientent. Le tout est achevé, mais les parties semblent à compléter. Le vide invoque l’intervention de notre œil pour que celui-ci relie les points entre eux et tire un trait, là où la figure est tronquée. Mais les ombres nous embrouillent, neutralisant notre esprit cartésien, afin que triomphe la poésie fugace de ces tâches sans corps.
Car les œuvres de Muneki Suzuki nous emmènent au pays du soleil levant, dont la lumière délicate lance, sur les murs, les ombres abstraites et immatérielles des feuillages. Ainsi, Jun’ichiro Tanizaki, dans son ouvrage L’éloge de l’ombre évoque le rôle du shôji au Japon. Cette paroi immaculée, protège des regards mais diffuse une lumière blanche dans les intérieurs japonais. Sur sa surface dansent les ombres du monde matériel. A l’image du shôji, les œuvres de Muneki Suzuki cachent un mystère impénétrable, que nous préférons garder intact. N’en déplaise à Platon, la beauté n’est, ici, ni essence ni substance, elle est flottante et changeante comme une ombre poétique, redonnant à la caverne, un éclat spirituel.
Texte : Elodie Réquillart
Crédit visuel : Muneki Suzuki, Le Paradigme de la Transparence No 01,11, Acrylic on acrylic plate, 2011, 70 x 70 cm