“La littérature qui se contente de décrire les choses, d’en donner seulement un misérable relevé de lignes et de surfaces, est celle qui, tout en s’appelant réaliste, est la plus éloignée de la réalité […] car elle coupe brusquement toute communication de notre moi présent avec le passé dont les choses gardaient l’essence, et l’avenir, où elles nous incitent à la goûter de nouveau.”
Marcel Proust. Le Temps retrouvé.
Celui qui écrit ces lignes vit couché dans une chambre aux fenêtres et rideaux fermés, entre autres pour se protéger des crises d’asthme provoquées par le pollen des arbres de la rue. Les murs sont tapissés de panneaux de liège qui amortissent les bruits du dehors. C’est à la mort de ses parents que Marcel Proust se trouve contraint, à plus de trente ans, d’habiter seul. Il sous-loue en 1905 à sa grand-tante un appartement sombre, bruyant et qu’elle a aménagé avec un mauvais goût impressionnant au premier étage du 102 boulevard Haussmann (qui n’en comptait que trois à l’époque).
Sa mère l’y avait souvent conduit plus jeune, et c’est ce lien à son enfance qui détermine son choix. Bientôt, l’écrivain va s’emmurer dans sa recherche du temps perdu.
Arrêtant la traduction des œuvres de Ruskin, il commence d’abord, en 1908, la rédaction d’un essai contre Sainte-Beuve. Mais ce projet d’essai se transforme à partir du printemps 1909 en un projet de roman de la mémoire involontaire, dans lequel Proust insère peu à peu les thèmes principaux de Jean Santeuil, son roman abandonné en 1899.
« Les décors, écrit Séverine Jouve dans Paris des écrivains, comme les faits et les êtres qui habitent l’édifice de À la recherche du temps perdu, ne reçoivent pas leur vraie vie de la perception présente, mais seulement de l’imagination et du souvenir. […] C’est de sa chambre de malade que l’artiste a entrepris sa traversée de Paris. […] Et si les quartiers, les rues et les monuments sont souvent cités, ils sont rarement décrits. »
Proust puise dans ses souvenirs d’enfance puis de vie mondaine, lorsqu’il recevait à dîner chez ses parents. Il s’inspire aussi de choses vues dans les salons qu’il fréquente à Paris lors de ses séjours à Cabourg (son Balbec), où le Grand Hôtel l’accueille chaque été de 1907 à 1914.
À partir de 1914, il embauche une servante-confidente, Céleste, qui le nourrit d’un ordinaire de deux bols de café au lait et de deux croissants par jour. Il ne reçoit plus que très rarement et une personne à la fois.
En 1919, sa tante vend l’appartement du boulevard Haussmann à la banque Varin-Bernier. Proust se réfugie 44 rue Hamelin, où il meurt le 18 novembre 1922, avant d’avoir vraiment mis sa dernière touche à ce que l’on connaît aujourd’hui sous les titres de La prisonnière, Albertine disparue et Le Temps retrouvé. La conception de la Recherche, débutée en 1908, se poursuit jusqu’à sa mort. Quinze années d’écriture, c’est peu comparé à l’ampleur du récit.