Le 24 juin dernier, la Cour suprême a révoqué l’arrêt Roe v. Wade interdisant presque totalement l’avortement aux Etats-Unis et réactivant par là une loi qui remonte au milieu du 19e siècle. Cette nouvelle provoqua une onde de choc dans le monde entier, ébranlant plusieurs décennies de luttes pour les droits des femmes. C’est dans ce contexte clivé que le musée Carnavalet – musée d’histoire de la Ville de Paris – propose un retour sur les batailles des femmes parisiennes, dans une riche exposition féministe intitulée Parisiennes citoyennes ! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789—2000), entraînant les visiteurs dans une longue traversée historique, de la Révolution française jusqu’à la loi sur la parité. A découvrir du 28 septembre 2022 au 29 janvier 2023.
/// Lolita Fragneau
Lors de l’exposition, certaines figures illustres et incontournables sont présentées – d’Olympe de Gouges à Gisèle Halimi – tout en mettant à l’honneur des noms moins connus ou anonymes : citoyennes révolutionnaires, Communardes, suffragettes, pacifistes, résistantes, femmes politiques ou syndicalistes, militantes féministes, artistes et intellectuelles engagées, travailleuses en grève, collectifs de femmes immigrées…
Le parcours de l’exposition suit un fil chronologique qui commence avec la revendication du « droit de cité » pour les femmes, pendant la Révolution. Par la suite, se déploie une dynamique de l’émancipation des femmes explorée dans toutes ses dimensions : elle implique le droit à l’instruction (grâce aux lois Ferry de 1881-1882) comme celui de travailler, les droits civils et les droits civiques, si difficiles à obtenir, mais aussi la liberté de disposer de son corps et l’accès à la création artistique et culturelle.
Dans le premier journal féministe – La Femme libre – parut en 1832, on lit dans les archives de cette année les mots décisifs d’une femme : « La femme, jusqu’à présent, a été exploitée, tyrannisée. Cette tyrannie, cette exploitation, doit cesser. Nous naissons libres comme l’homme, et la moitié du genre humain ne peut être, sans injustice, asservie à l’autre. » Ces paroles, audacieuses pour l’époque, sont les premiers fondements d’une bataille de longue haleine, qui se forgera dans la persévérance et l’affirmation de ses droits. Le mot « féministe » n’existe pas encore, mais la réalité politique qu’il désigne est déjà présente sous la forme d’une aspiration collective à l’émancipation des femmes.
Il faudra attendre 1882 pour que le mouvement s’argue d’un vrai nom sous la plume d’Hubertine Auclert, qui est convaincue qu’il faut donner la priorité à la conquête du droit de vote et d’éligibilité des femmes. Le suffragisme devient, à l’aube du 20e siècle, le combat principal des féministes. Au début des années 1900, il permet que des femmes accèdent à des rôles de premier plan dans le monde du travail et de la culture. Avocates, scientifiques, doctoresses, écrivaines ou sportives, elles imposent leur image de « Femmes nouvelles », c’est-à-dire de femmes convaincues de l’égalité des sexes. Un tableau peint par Amélie Beaury-Saurel met en lumière le visage de Caroline Rémy – dite Séverine – qui fût la première journaliste professionnelle.
Pendant les Guerres Mondiales, les femmes participent aux activités jusqu’alors réservées aux hommes, ce qui favorise leur reconnaissance pendant un temps. Mais cette acceptation ne dure pas, et il faudra patienter encore pour que les droits des femmes soient véritablement reconsidérés. Entre les deux guerres, les réseaux de femmes se multiplient dans la capitale. Les salons se multiplient, comme celui de Natalie Barney dédié à la culture lesbienne. Les librairies et bibliothèques offrent des possibilités de rencontres, comme à la Bibliothèque Marguerite Durand, « office de documentation féministe ».
Peintures, sculptures, photographies, films, archives, affiches, manuscrits, ou autres objets militants voire insolites, rendent compte de la diversité des combats et des modes de revendications. Le parcours se termine avec les œuvres contemporaines de l’artiste plasticienne Niki de Saint Phalle – où son action consiste à tirer sur un support comportant des objets et formes diverses en plâtre blanc, qui libèrent de la peinture – ou celle de l’artiste urbaine Miss.Tic – car s’émanciper, c’est aussi se donner le droit d’occuper l’espace public. Les Parisiennes citoyennes ont mille et un visages au service d’innombrables causes, dans une capitale qui fabrique des icônes et rend possible les combats collectifs. Plus que jamais, il faut se souvenir de ce passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs au lendemain.
Musée Carnavalet
- Adresse : 23 Rue de Sévigné
- Code postal : 75003
- Ville : Paris
- Pays : France
- Tel : 0144595858
- Site Internet : https://www.carnavalet.paris.fr/