Fernande Olivier, la muse oubliée

Fernande Olivier, la muse oubliée

Dans le cadre du cinquième anniversaire de la disparition de Pablo Picasso, l’exposition présentée au musée de Montmartre Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau- Lavoir est la première à être entièrement consacrée à cette femme qui fût la première muse de l’artiste espagnol. Artiste et écrivaine, Fernande Olivier (1881-1966) est le témoin incontournable d’un milieu artistique. Du 14 octobre 2022 au 19 février 2023, l’événement retrace son point de vue sur l’époque à travers ses écrits et ses peintures, tout en les mettant en lien avec les œuvres des avant-gardes.

/// Lolita Fragneau

 

La première partie de l’exposition brosse le portrait de cette femme si peu connue aujourd’hui. Fernande Olivier – née Amélie Lang – le 6 juin 1881 à Paris, a connu une jeunesse difficile, remplie d’agressions sexuelles et de violences conjugales par Paul Percheron qui l’avait violé lorsqu’elle était encore mineure. Forcée de se marier avec l’homme qui la brutalise, elle parvient à s’enfuir assez rapidement de l’horreur qui caractérise son quotidien. Elle se lie alors à un jeune sculpteur, Laurent Debienne, pour qui elle commence à poser en tant que modèle et qui l’héberge ensuite au Bateau-Lavoir – fameux lieu de résidence et de création qui a accueilli de nombreux artistes peintres, sculpteurs, et personnes de lettres tels que Henri Rousseau ou Max Jacob.

Pablo Picasso, Buste de femme, huile sur toile, 58 x 46 cm, 1907 © Succession Picasso 2022

C’est à cet endroit qu’elle fait la rencontre de l’artiste espagnol, marquant radicalement l’entrée dans la période rose. Même s’ils mènent ensemble une vie très pauvre, ce sera pour Fernande Olivier une des périodes les plus heureuses de sa vie. Picasso la prend lui aussi comme modèle, notamment pour les bustes féminins réalisées entre 1907 et 1909, représentant l’arrivée vers le cubisme, mais aussi pour une des effigies des Demoiselles d’Avignon (1907). Etant de nature très possessive, il refuse qu’elle continue ses activités de modèle avec les autres artistes, et la confinera chez lui.

Après leur rupture, elle publie en 1933 Picasso et ses amis. Plus tard, en grande difficulté financière, elle souhaite faire paraitre un autre ouvrage sur l’homme qui a partagé sa vie pendant sa jeunesse, mais Picasso l’en dissuade et lui donne de l’argent pour compenser.  C’est finalement à titre posthume que ses Souvenirs intimes, écrits pour Picasso seront publiés en 1988. Dans ces ouvrages, elle y décrit avec justesse ses compagnons de bohème : Apollinaire, Braque, Derain, Matisse, Le Douanier Rousseau, Van Dongen… Elle écrit ainsi : « J’ai vécu avec eux, plus près d’eux que n’importe qui, puisque « chez Picasso » c’était aussi chez eux […] J’ai vécu de leur existence, je les vus vivre, penser, souffrir, espérer et surtout travailler, vivant, pensant, souffrant, espérant avec eux. »

Suzanne Valadon, Nu assis sur un canapé, huile sur toile, 1916

Pour l’occasion, certaines œuvres de ces artistes vus par Fernande Olivier sont visibles dans l’exposition, et c’est comme si le Bateau-Lavoir reprenait vie. La parole du modèle guide le visiteur à travers cette époque artistique effervescente, goutant aux caractères des artistes et à leur génie pictural tout en même temps. La femme, moderne par excellence, aurait pu peut-être embraser une carrière littéraire flamboyante si son amour pour Picasso ne l’avait pas contraint à l’état de muse. Dans ses interviews, elle affirme qu’elle ne regrette rien, heureuse qu’elle est d’avoir croisé la route de Picasso à l’époque où il n’était pas encore Picasso.

Vue de l’exposition « Fernande Olivier et Pablo Picasso. Dans l’intimité du Bateau-Lavoir » au musée de Montmartre jusqu’au 19 février

Musée de Montmartre – Jardins de Renoir