Fernand Teyssier, la figure et les choses

Fernand Teyssier, la figure et les choses

Du 12 mai au 18 juin, la galerie Kaléidoscope présente le travail du peintre Fernand Teyssier. Une oeuvre protéiforme à découvrir absolument.

 

/// Camille Noé Marcoux

 

« Je ressens le néant des choses autant que leur beauté », écrivait le peintre Fernand Teyssier (1937-1988) dans un de ses carnets des années 1980.

 

Fernand Teyssier, Les éléphants, 1984, huile sur toile, 146 x 114 cm
 

Le 9 décembre 2020, un événement pour la postérité de Fernand Teyssier se produisit chez Artcurial : une de ses grandes toiles, Conversation perroquets (1966-67), estimée seulement entre 3.000 et 4.000 €, a atteint une somme jusqu’alors inédite pour l’artiste : 22.100 € !

 

Les œuvres de Fernand Teyssier bénéficient, depuis ces dernières années, d’un nouvel éclairage. Notamment grâce Cérès Franco, grande collectionneuse et galeriste de l’artiste, qui exposa en 2013 son importante collection au Musée des Beaux-arts de Carcassonne, puis, par sa donation, a permis la création et l’ouverture en 2015 de La Coopérative-Musée Cérès Franco, à Montolieu, conservant dix œuvres de Teyssier dont cinq sont exposées. Et surtout grâce à la fille de l’artiste, Serpentine Teyssier, qui travaille depuis de nombreuses années à l’inventaire des toiles de son père, et qui, en 2019, organisa une très belle rétrospective au Centre d’art contemporain du Château Lescombes à Eysines. Aujourd’hui, c’est la Galerie Kaléidoscope, à Paris, qui invite à poursuivre notre redécouverte de cet artiste des années 1960-1980 encore trop méconnu, à la croisée du surréalisme, de la figuration narrative, du Pop art et de l’abstraction. Au mois d’avril, à Art Paris, la Galerie Kaléidoscope avait déjà présenté quatre toiles de l’artiste.

 

Fernand Teyssier, Sans titre (ou Deux pin-ups à la madone) c. 1966-1967, acrylique sur toile, 100 x 100 cm

 

Fernand Teyssier est aujourd’hui essentiellement connu pour sa période « Pop art », de la seconde moitié des années 1960. Preuve en est, à l’occasion de cette exposition à la Galerie Kaléidoscope, l’achat de cinq grandes et importantes toiles de Teyssier, des années 1966-1968, réalisé par la Fondation d’art Jean-Claude Gandur, de Genève. Avant leur départ prochain pour la Suisse, c’est un réel plaisir de pouvoir encore admirer les subversives Deux pin-ups à la madone, ou bien encore La Mort de Marat et La Disparition heureuse, deux œuvres qui témoignent du goût de l’artiste pour la création de toiles hybrides qui mêlent acrylique, encre, mine de plomb, collage et tampons. La Galerie Kaléidoscope nous propose de découvrir également d’autres périodes artistiques de Fernand Teyssier.

 

Fernand Teyssier, Sans titre (ou Quatre seins), 1985, huile sur toiles cousues, 69 x 52 cm

 

Né en 1937 à Paris, le parcours de Fernand Teyssier est avant tout celui d’un autodidacte, bien qu’ayant fréquenté les cours de la Grande Chaumière et avoir été initié à la gravure par Jean Delpech. En 1961, il illustre le recueil de poésies La Rue tourne de ses amis poètes Alain Lance, Claude Marcoux, Michel Langrognet, et de son frère Claude Teyssier (édition le Terrain vague, 1961, 63 p.). Au moment de la réalisation de ce projet éditorial, la bande d’amis réussit même à se faire inviter chez Philippe Soupault, figure marquante du surréalisme pour lequel les jeunes amis ont alors une grande admiration et qui accepte de leur préfacer l’ouvrage !

 

Fernand Teyssier était aussi bien influencé par les maîtres anciens (Dürer, Da Vinci, Arcimboldo, Goya) que modernes (Van Gogh, Jawlensky, Gleizes, Klee, Picasso), et bien entendu par les artistes surréalistes et dada (Man Ray, Magritte, Raoul Hausmann, Hans Bellmer). De cette période de « lectures fondatrices et de rencontres déterminantes » des années 1960, date aussi son amitié avec l’artiste allemande Ulrike Ottinger, qu’il rencontre lors de son service militaire à Constance et qui, dans son atelier-galerie, lui organisera ses premières expositions personnelles en Allemagne en 1961 et jusqu’en 1973. Récemment, dans son documentaire Paris calligrammes sorti au cinéma en 2019, Ulrike Ottinger revient sur le Paris des années 1960 et sur ses souvenirs de Fernand Teyssier. Parmi les œuvres présentées par la Galerie Kaléidoscope, cette période de création est illustrée avec plusieurs toiles que Fernand Teyssier a réalisé pour le Salon de la jeune peinture, en 1964-1965, regroupant alors les artistes « à la pointe du courant Figuration narrative ». Pour la galeriste Marie Deniau, Fernand Teyssier se rattache avec ces œuvres « au courant de la Figuration narrative, aux côtés d’Eduardo Arroyo, Gérard Fromager, Hervé Télémaque, Alain Jacquet, et d’autres encore ».

 

Fernand Teyssier, Deux totems gardés par le chien et le jaguar pour un homme désespéré, 1983, huile sur toile, 162 x 130 cm

 

Puis, dans les années 1970, voyageant au Pérou, et ensuite régulièrement au Laos chez son ami Claude Marcoux, Fernand Teyssier débute une relation de confiance avec la célèbre galeriste Cérès Franco, dont la galerie L’Œil de Bœuf crée en 1973 était, selon les mots de Jean-Hubert Martin, « une ruche où se mêlaient des artistes du monde entier, (…) un havre de liberté créative ». Là, Fernand Teyssier est présenté dans des expositions collectives, surtout en 1980 dans son exposition personnelle Les Natures intérieures qui fit date. En mars 1988, l’artiste met brutalement fin à ses jours, âgé seulement de 50 ans.

 

Ce sont au total 33 œuvres qui vont de 1964 à 1985, que la Galerie Kaléidoscope propose dans cette « exposition monographie », offrant ainsi un spectre assez large de la création de Fernand Teyssier. A côté de ses périodes Figuration narrative et Pop, des œuvres encore peu connues dans sa production artistique sont présentées, comme ses collages de 1970 qui, en 1971, furent exposés à la Galeriepress de Constance aux côtés notamment d’œuvres de David Hockney. Mais également des œuvres plus intimistes, avec ses crayons sur papier des années 1975-1979 : tel que son très beau baiser d’une femme et d’un animal, Sans titre en 1975 ; ou bien encore, dans ce « jeu des formes où hommes et animaux font corps », son portrait onirique mi femme mi oiseau, Sans titre, lithographie à tirage unique de 1976. Enfin, la rétrospective couvre la dernière période de la vie de l’artiste, très colorée et très ludique, avec notamment la très originale pin-up rose cousue sur trois toiles, Les Quatre seins de 1985, et surtout les Deux totems gardés par le chien et le jaguar pour un homme désespéré de 1983 qui, dès l’entrée dans la galerie, ouvrent à l’amateur d’art le monde aux mystères surprenants et sans réponses de Fernand Teyssier. Teyssier a réussi à peindre des rêves, avec jeu et humour, pour apaiser ses souffrances intérieures.

 

Fernand Teyssier, Sans titre, 1970, collage sur papier, 50 x 65 cm

 

« Dans sa globalité, souligne Marie Deniau, l’œuvre de Fernand Teyssier instaure un dialogue subtil entre la figure et les choses, entre le corps humain et les objets, traités picturalement à égalité. Le tout nimbé de l’indéfectible humour de l’artiste, ultime tentative pour tromper la mort. »

 

A noter :  La rétrospective de la Galerie Kaléidoscope, visible jusqu’au 18 juin prochain, est accompagnée d’un très beau fascicule, et le catalogue raisonné de Fernand Teyssier est en cours de réalisation par sa fille, Serpentine Teyssier.

 

Fernand Teyssier, Sans titre, 1975, crayon sur papier, 50 x 65 cm
 

Visuel de couverture :  © Fernand Teyssier, Sans titre, 1979, crayon sur papier, 77 x 56 cm

 

Galerie Kaléidoscope