Silence ça pousse ! Almudena Romero cultive la photographie à la Fisheye Gallery 

À l’occasion de la sortie du second livre d’Almudena Romero, “The Pigment Change”, la Fisheye Gallery est heureuse de présenter le travail de l’artiste espagnole Almudena Romero jusqu’au 7 janvier 2024.

       /// Nora Djabbari

Au centre de l’espace d’exposition, un portrait de visage nous regarde de ses grands yeux. Cette image, vouée à se détériorer lentement, est imprimée sur une feuille de cresson… Un jour elle disparaîtra, au grand dam des collectionneurs de photographie traditionnelle, ceux qui espèrent trouver dans cet art la capacité de capturer un instant, d’être le contenant d’un témoignage du passé.

Il s’agit bien d’une exposition photographique, mais vous ne trouverez nul tirage en argentique ou en numérique… La Fisheye Gallery continue d’explorer les avant-gardes en exposant le travail de l’artiste espagnole Almudena Romero. Aborder son œuvre atypique, c’est inévitablement se questionner sur la pratique photographique, sur ce qu’on attend d’elle et sur notre propre rapport au consumérisme dans l’art. L’artiste se sert de végétaux pour en faire les supports de ses créations. Elle explique : “Je cultive des graines de cresson sur une toile et projette un négatif par dessus celle ci. Les parties qui reçoivent plus de lumière produisent de la chlorophylle donc les tonalités vert foncé. Les parties qui reçoivent moins de lumière restent, elles, jaune pâle. C’est comme dans une chambre noire, mais à la place agrandisseur, j’ai un projecteur et ma toile de cresson est mon papier photo”.

Depuis l’avènement de la photographie, l’humain occupe une place centrale dans la création visuelle, immortalisant le monde qui l’entoure en utilisant son regard anthropomorphique. Mais que se passe-t-il lorsque l’on change drastiquement de point de vue ? Alomodena Romero propose une révolution copernicienne en nous invitant à déplacer notre regard, construisant ainsi une réflexion écologique profondément évocatrice. Ici, le végétal devient à la fois support et réceptacle, dans une démarche qui ne vise pas à transformer mais à observer. Sur les feuilles surgissent des formes, des mains vieillies par les années. Le monde est vu par ces végétaux qui deviennent les miroirs du réel.

Loin de se limiter à la froideur des reproductions scientifiques qu’on pourrait trouver dans les dessins des plus grands biologistes, Almodena Romero tente de représenter tous les processus opérés par le vivant. Chaque tirage, méticuleusement conçu, prend plusieurs mois, s’adaptant aux contraintes organiques du support. On admire la fragilité de ces feuilles, tout comme les teintes brunes ou vertes qui surgissent de leurs recoins, comme pour manifester avec puissance leur statut d’être vivant. L’artiste opère un parallèle entre la vie des végétaux et celle des humains, capturés métaphoriquement par les images de mains. À travers cette approche novatrice, Almudena Romero élargit notre conception de la photographie, en nous invitant à réfléchir à notre interconnexion avec le vivant, mais aussi au rapport que nous avons avec notre propre corps et le temps qui passe.

En choisissant de faire l’éloge de l’éphémère, Almudena Romero nous invite indirectement à apprécier la vie : “ Ensemble, si on pense à la photographie avec une pluralité de formes et de matériaux pour exister, nous nous laissons aussi une plus belle chance d’exister nous même. C’est peut-être par la voie de l’éphémère que nous trouverons un futur durable”. Faire l’éloge contre intuitif de l’éphémère, c’est nous inviter à accepter notre statut d’être humain et à renouer avec notre environnement, actuellement bouleversé par les enjeux climatiques. Avec poésie, Almudena Romero tisse une réflexion philosophique qui brille par sa simplicité, capturant ainsi l’essence d’un idéal écologique et humaniste.