Une saison confinée au musée des Beaux-Arts d’Orléans

Une saison confinée au musée des Beaux-Arts d’Orléans

Spécialiste du dessin français de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles, Mehdi Korchane est nommé responsable de la conservation des arts graphiques du musées des Beaux-Arts d’Orléans en janvier 2020. A peine a-t-il le temps de prendre ses fonctions que l’annonce du confinement nous prend tous de court. Pendant la période qui suit, il est l’une des rares personnes à déambuler dans l’enceinte du musée fermé au public. 

/// Eliane De Sousa

1. Vous travaillez en tant que conservateur au musée d’Orléans qui comme tous les établissements culturels a dû fermer ses portes pour la durée du confinement. Pendant ces 56 jours vous avez été une des seules personnes à avoir accès aux lieux. À quoi ressemblaient les journées que vous y avez passées ?

Mes journées de confinement au musée commençaient avec la seule autre personne présente dans le bâtiment : le gardien de permanence au poste de sécurité. Cela a été l’occasion de nouer un dialogue avec lui, ce que je ne prenais pas le temps de faire en temps normal. Les matinées se partageaient entre mon bureau et l’une des réserves d’arts graphiques, domaine dont j’ai la responsabilité, et chaque après-midi je prenais deux heures environ pour effectuer une ronde sanitaire dans les salles d’exposition, à la recherche d’éventuelles anomalies sur les œuvres.

2. Un musée vide, c’est une situation pour le moins « contre nature ». Avez-vous eu le sentiment que de pouvoir l’explorer ainsi, sans foule, sans bruit, était un privilège, ou au contraire regrettiez-vous les visiteurs ?

Bien que le flux de visiteurs affecte rarement la qualité de la visite en temps normal c’était assurément un privilège. Je n’étais en poste que depuis trois mois lorsque le confinement a été annoncé, et je n’avais pas eu suffisamment de temps pour me familiariser avec les collections permanentes. Les rondes que j’effectuais chaque jour dans le musée confiné ont été l’occasion de me reconnecter véritablement avec lui.

3. Est-ce que cela a eu impact sur votre perception des lieux, des œuvres ? Peut-être cela vous a-t-il permis de les redécouvrir sous un nouveau jour ? 

Portrait de Monseigneur Louis-François de Jarente de Sénas
Alexander Roslin, Portrait de Monseigneur Louis-François de Jarente de Sénas

Il est vrai que le temps que je me suis accordé pour regarder les œuvres m’a permis de remarquer des détails qui ne m’avaient pas interpellé avant : les cadres ! Certains tableaux et pastels du XVIIIème siècle sont dotés de très beaux spécimens, particulièrement ceux d’époque Louis XV. Repasser régulièrement devant certains tableaux m’a également révélé quelques vérités à leur sujet : il m’est apparu évident qu’un portrait de l’évêque Jarente de Senas d’Orgeval, tombé dans l’oubli, était en fait du peintre suédois Alexandre Roslin. Découverte que Magnus Olausson, spécialiste de l’artiste, a confirmé avec enthousiasme. Je suis également persuadé qu’une esquisse depuis toujours attribuée à Pierre Guérin est en fait une copie de la main de son élève Léon Cogniet. Plus subjectivement, j’ai été frappé par le silence. Le pouvoir d’interpellation des œuvres est devenu bien plus fort et le musée m’est apparu comme une extraordinaire machine poétique, pour peu qu’on lâche la bride des sens.

4. Par ailleurs, si les conséquences du confinement sur le musée sont évidentes, ce n’est pas le cas pour les œuvres. Que leur est-il arrivé au cours de ces deux mois ? (Sont-elles restées en salles ou ont-elles dû être entreposées ailleurs ?)

Etant donné qu’il n’y avait pas de situation de risque et qu’un conservateur était présent tous les jours pour s’assurer de leur bon état de conservation, aucune œuvre n’a dû être déplacée durant le confinement. La température et l’hygrométrie ont été relevées quotidiennement, car ce sont les deux facteurs auxquels les panneaux, les toiles et les papiers sont les plus sensibles.

5.  D’un point de vue technique ; cela a-t-il exigé de repenser leur conservation ? 

Il n’a pas été nécessaire de repenser leur conservation mais une vigilance accrue s’imposait. L’architecture n’est pas inerte ; les circuits électriques et les canalisations sont des points particulièrement sensibles. J’ai par contre été bien surpris de découvrir qu’une colonie de fourmis avait pris ses aises, au sous-sol, dans l’espace en apparence aseptisé des salles d’expositions temporaires !

6. Y a-t-il eu des changements dans votre activité de conservateur, positifs ou négatifs ?

Le calendrier du musée, la programmation des événements et des expositions, tout cela a été bousculé par le confinement. Mais à toute chose malheur est bon ! La médiation a dû être repensée : le service éducatif et l’équipe scientifique ont redoublé d’inventivité pour continuer à partager les collections avec le public. Cette crise, comme n’importe quelle autre, a mis les professionnels des musées face à de nouveaux défis. Pour les conservateurs, la période que nous venons de vivre a été l’occasion de mener un travail de fond sur les collections, de se recentrer sur les missions de recherche ou sur les projets rédactionnels. Le temps que nous a offert le confinement a été pour nombre d’entre nous un luxe.

7.  Cette expérience pour le moins inédite a sans doute beaucoup impacté la façon dont vous avez vécu le confinement. Quel souvenir en garderez-vous ? 

J’ai eu la chance que personne de mon entourage ne soit touché par le virus. Je garderai donc de cette expérience le souvenir d’une bulle contemplative, hors du temps, pleine de possibles que ne permet pas le cours normal des choses. 

Photographie de Mehdi Korchane, responsable de la conservation des arts graphiques au musée des Beaux-Arts d’Orléans.

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