Thomas Demand. Le bégaiement de l’histoire

« Le bégaiement de l’histoire est le territoire que Thomas Demand a passé la majeure partie des trois dernières décennies à explorer, à traverser et à creuser. Si les étudiants des Vkhoutemas s’efforçaient de concevoir un monde utopique qui ne pourrait se manifester en dehors de la lentille de l’appareil photo, Demand a consacré sa carrière à la recréation, exprès pour l’appareil photo, d’un monde à jamais médié par des images. Dans ses objets photographiques grand format, l’histoire se présente comme un fac-similé, aussi banal que perturbant, d’épisodes que l’on croit pouvoir identifier sans toutefois jamais y parvenir. Une pièce où s’est produite une explosion, un ordinateur posé sur un bureau dans un misérable espace de travail, un mur d’étagères entièrement remplies de cartons plats : ces images apparemment dénuées de présence humaine comptent parmi les premières que Demand a créées. Elles sont lourdes d’un paradoxe constitutif. L’inquiétante étrangeté s’y manifeste de diverses façons. Leur contemplation suscite le malaise, parce que les références quant à leur source – photographies de la pièce où Adolf Hitler a échappé de justesse à un assassinat (Room, 1994), du simple bureau avec ordinateur dans la chambre d’étudiant que Bill Gates occupait à Harvard (Corner, 1996), archives filmiques de la réalisatrice Leni Riefenstahl (Archive, 1995) – sont dissimulées à notre regard. Ces objets flottant sur le mur, accrochés sans cadre dans un caisson de Plexiglas, entretiennent un rapport à l’histoire sans ancrage, la représentant de façon monumentale tout en la rendant paradoxalement muette. Toutefois, plus on contemple ces œuvres, et plus on constate que le malaise nous envahit à un autre niveau : quelque chose cloche. »