Les arches de Vincent Ganivet, Portrait de l’artiste en magicien de la sculpture

Les arches de Vincent Ganivet, Portrait de l’artiste en magicien de la sculpture

 

“Dans le vide, seul, le mouvement devient possible”

Charlotte Perriand

 

/// Stéphanie Bros

 

 

L’artiste du mouvement suspendu

 

Vincent Ganivet fait partie de ces artistes qui n’ont pas peur de voir en grand. De ses débuts où il manipule des maquettes fragiles à ces structures imposantes que sont devenues ces arches sculpturales et aériennes qui sont sa marque de fabrique (c’est lui le metteur en scène des conteneurs en couleurs du Havre), Vincent rivalise d’ingéniosité pour faire tenir des structures complexes. Il nous explique sa technique désormais infaillible qui lui a permis de réaliser cette multi-arche aux proportions spectaculaires qui défient les dimensions de la salle qui l’accueille avec un poids de près de 3 tonnes 5,  un diamètre au sol de 11 mètres et ses 5 mètres de haut.

On se plaît à tourner autour de ce squelette tout en torsions et l’on découvre un jeu de mouvements cinétiques. Chaque angle lui découvre un nouveau profil.  Visite guidée avec l’artiste.

 

“Je n’invente rien, j’applique.”

 

  

Comment t’es venue cette idée des arches sculptées en élévation dans le ciel?

Et en quoi cette nouvelle arche est-elle différente des autres?

 

“Tout a commencé avec un domino cascade. J’avais envie de recréer ce mouvement et de le matérialiser dans une forme en volumes. C’est d’abord du jeu et de l’observation aussi.

À ma sortie des Beaux-arts de Paris j’avais un travail plutôt orienté vers le minimalisme, mais rien de monumental. Pour gagner ma vie, je travaillais sur des chantiers de construction et dans mon atelier je jouais à faire des cascades de dominos en parpaings, que j’ai commencé à empiler de façon non conventionnelle. De fil en aiguille, je suis arrivé à l’arche. La première fois, j’ai eu l’impression de tomber sur un puits de pétrole. Mais ça restait fragile. C’est à la faveur de rencontres et de discussions que j’ai découvert le système de Gaudi qui consiste à faire pendre une chaîne et révéler les endroits à lester, pour tracer l’arche autoportante. C’est un dessin qui suit le sens de la nature.

Dès mon premier essai, ça a fonctionné. Puis j’ai complexifié la forme de la chaîne ce qui a abouti à la pièce que je montre ici. En déformant davantage et de manière moins symétrique, j’avais envie de la faire vriller et j’ai trouvé des astuces pour donner à l’œuvre un rendu non pas précaire mais plus angoissant.

Ce qui m’intéresse c’est la mise en œuvre, le moment du chantier, ce casse-tête à grande échelle. À l’atelier, il y a beaucoup de menuiseries, de dessins et de tests pour le moule du gabarit. Ce qui ne se voit pas c’est le gros du boulot et j’aime beaucoup ce rapport à ce qui est en fait dissimulé.

Celle-ci est plus complexe que les précédentes. Avec ses dix-huit arcs qui s’emboîtent, d’où son nom “C18”, ses dix clés de voûtes et ses six pieds. C’est aussi la première fois que j’emploie ce matériau brut à la teinte naturelle – des briques plus légères de seulement 8kg chacune de la marque Wenneberger. J’ai beaucoup aimé la différence avec un parpaing gris. Il n’y a d’ailleurs pas de parti pris esthétique dans ma démarche, j’interviens en fait assez peu sur la composition elle-même. Avec les pieds coulés dans le ciment qu’on appelle des culées et qui retiennent l’arc, on voit que tout est nécessaire et tel quel.

Je suis heureux si on trouve ça beau à la fin mais ce n’est pas dans le processus.”

 

Est-ce que tu vois des limites à ce protocole? Et quelles ont été les étapes de la modélisation?   

 

“Je ne vois que les dimensions des lieux qui m’accueillent comme limites. Après il y a toujours une contrainte de machines et de budget. Au départ, c’est un tableau excel avec des côtes, des longueurs de chaîne et des points dans l’espace à relier. Je passe par des croquis pour expliquer la démarche et communiquer avec mon équipe d’assistants. C’est un vrai jeu pour moi, je m’amuse beaucoup.

“C18” je l’avais imaginé en 2013 dans ces dimensions-là mais n’avais pas eu l’occasion de la réaliser. Grâce à l’invitation du curateur et régisseur de l’Ilôt, Vincent Lepichon, j’ai eu l’opportunité et le budget de la produire. J’ai repris le dessin en mars dernier et cela fait quatre mois que nous travaillons dessus. Donc si j’en produis une grande comme celle-là par an, c’est déjà bien.”

 

Et l’effondrement, tu peux nous en parler?

 

“L’effondrement c’est l’aboutissement. L’œuvre a la durée de vie de l’exposition. Au lieu de déposer chaque élément, ce qui serait coûteux, je préfère un geste artistique. J’invite d’autres artistes, par exemple un escaladeur ou un archer. Il faut tirer dessus d’une façon ou d’une autre, c’est inhérent à la sculpture elle-même. Et cela donne l’occasion d’une performance – “C18” sera d’ailleurs effondrée le 26 septembre 2021 en public.

Si je peux organiser son moment de bascule, je préfère. C’est aussi un instant où elle se révèle, on voit qu’il n’y a pas de structure interne, pas de ferraille et qu’elle est juste posée. C’est aussi un déchirement je dois avouer, cela ne me fait pas plaisir de les effondrer.

Mais il faut bien laisser la place à d’autres. Et puis j’y vois un feu d’artifice.

C’est comme au moment du décentrage qui est le moment clé du montage et qui dure une journée entière. À l’époque du Roi d’ailleurs, le décentrage donnait lieu à un véritable spectacle avec invitation de la cour et l’architecte et la structure n’avaient qu’à bien se tenir!

Avec l’écroulement, j’ai un autre temps fort avec l’œuvre que j’aime aussi partager en public. L’arche est pour moi une sorte de feu d’artifice en suspens, comme un arrêt sur image, puis lors de l’effondrement, le feu est inversé et s’écroule sur lui-même.”

 

Quand un visiteur lui demande ce que l’œuvre représente, l’artiste lui répond :

“Vous y verrez ce que vous voulez, moi je vois un effort surhumain.”

 

Supplément d’assistants

 

Avec des machines de levage classiques, Vincent Ganivet échafaude sa figure aérienne toute en élévation. C’est grâce au concours de ses assistants – techniciens hors pair que le chef d’orchestre peut opérer sans dommage. Nous avons rencontré l’un d’eux, Max Orlu, artiste-fondeur de formation, basé à Turquant près de Saumur. Il s’est récemment initié aux techniques de montage complexes de Vincent lors d’une résidence en début d’année chez lui, à son atelier-usine en Bourgogne situé à Paray-le-Monial.

 

“Travailler avec Vincent et son équipe, découvrir sa méthode spécifique de réalisation de gabarit et de montage, m’a apporté l’expérience du travail en groupe. Il m’a incité à m’instruire sur les techniques en lisant beaucoup d’ouvrages. Je suis soudeur à la base et plutôt solitaire dans mon atelier quand je crée mes pièces en volume. Mais Vincent a toujours besoin de compétences car c’est une prouesse collective, alors il m’a pris dans son équipe pour les points de soudure sur la structure au sol.

À l’atelier, j’ai travaillé les pièces de bois qui servent au gabarit et les cales qu’on voit entre les briques et qu’on appelle des sifflets. On les a réalisés ici sur place, pendant le montage. C’est un travail collaboratif et quand on voit le résultat, on est tous très fier. J’ai ainsi pu travailler à l’élévation d’un des pieds, puis ses assistants plus expérimentés Walter et Julien se sont occupés des sommets plus délicats à agencer. J’ai aussi eu la chance de collaborer avec lui sur une autre grande pièce, sa roue que nous avons installée en avril dernier à l’Abbaye de Charroux (86). À la fin, j’y vois une œuvre monumentale fragile et imposante, le contraste réussi entre la faiblesse et la robustesse. C’est toujours fascinant quand on retire le gabarit et que l’œuvre tient seule, avec ce même mélange de tension et de magie.”

 

Max Orlu ©Stéphanie Bros

L’écrin de l’Îlot sauvage

 

L’îlot Sauvage dans les hangars de Port Boinot, Niort ©Stéphanie Bros

 Avec “C18”, Vincent Ganivet inaugure le cycle thématique « Rien ne se perd… tout se transforme” déployé à l’Îlot Sauvage dans les hangars de Port Boinot à Niort.

Un tiers lieu comme il en existe encore trop peu, situé sur une ancienne friche industrielle réhabilitée. Autogéré par une poignée de fidèles à l’énergie inépuisable et qui rend concret des projets fous comme celui-là. Grâce à Vincent Lepichon, régisseur et curator multi talents du lieu qui a eu l’ingénieuse idée d’inviter l’artiste à exploiter tout l’espace :

 

“Ici c’est véritablement la construction qui est en jeu. Vincent travaille comme un maçon, pense comme un ingénieur et regarde comme un artiste. Ses centaines de briques empilées structurent l’espace d’exposition dans un équilibre troublant, entre jeux d’enfants et prouesse empirique.  Cette torsion des rôles et fonctions en question chez lui produit un incroyable jeu de construction avec l’effort physique pour seul mortier.”

 

Autant d’audace qui méritait bien pour se ressourcer au contact de l’art, une œuvre à la présence magique. À découvrir tout l’été jusqu’au 26 septembre.

 

 

©Stéphanie Bros