Inaugurée en 2016 au cœur du quartier des antiquaires à Marseille, la Double V Gallery a ouvert à Paris en 2021. Elle se veut être un espace d’exposition où se côtoient différentes tendances artistiques, formes d’art, générations et notoriétés diverses. Son directeur Nicolas Veidig-Favarel propose un rapport étroit entre le galeriste et l’artiste, guidé par l’émotion générée par les œuvres. Rencontre avec Mathilde Mascolo, Assistante Galerie.
/// Stéphane Gautier
1. Double V Gallery vient d’ouvrir à Paris après avoir ouvert une première galerie à Marseille et vous présentez actuellement un solo show « FUGUE » d’une artiste suisse Caroline Denervaud. Que pouvez nous en dire ?
Mathilde Mascolo. C’est notre exposition d’ouverture avec Caroline et sa première exposition personnelle à Paris. Cette artiste a eu plusieurs vies : elle a d’abord été danseuse à Londres mais à la suite d’une blessure, elle a dû arrêter sa carrière. Elle s’est alors reconvertie dans la mode comme styliste. Puis elle est entrée aux Beaux-Arts de Paris où elle a appris à allier la pratique de la danse et la pratique picturale à travers ses performances dansées que vous pouvez découvrir à la galerie. Ce sont des vidéos autofilmées. A partir de celles-ci, elle réalise ce qu’elle appelle « ses traces », des œuvres minimales, radicales, à l’échelle de son corps. Il s’agit du point de départ de sa pratique.
2. Nous observons des œuvres en couleurs et d’autres en noir et blanc. Comment s’est réalisé ce changement ?
Caroline Denervaud a commencé à mettre de la couleur dans ses œuvres il y a quelques années et a commencé à travailler sur du papier avec de la caséine – liant à base d’œufs et de pigments naturels – qui permet à l’artiste de réaliser ses propres couleurs et de donner une certaine transparence et profondeur à ses œuvres. C’est en 2019 que la Double V Gallery a présenté les œuvres en couleur de Caroline à Marseille, pour son premier solo show en France.
3. Les œuvres de l’exposition « FUGUE » sont de très grands formats. Comment allie-t-elle la recherche de profondeur et la dimension importante de ses créations ?
Caroline Denervaud s’est mise à travailler il y a un an sur la toile avec de grands formats. Elle continue à utiliser la caséine sur ses toiles afin de retrouver une sensation assez proche de ses œuvres sur papier. Chaque toile procure une sensation unique : l’une provoque un effet de flou, une autre donne une sensation plus mate… et la masterpiece de l’exposition Un élan pour deux lunes, d’une dimension de près de deux mètres sur trois, plus lisse, joue sur la transparence.
4. Les vidéos de l’artiste sont-elles présentes pour documenter le travail artistique de Caroline Denervaud ou sont-elles présentes dans l’exposition de manière totalement autonomes ? Comment les envisagez-vous ?
Pendant un moment, elles étaient considérées comme un outil presque « documentaire », c’est-à-dire qui s’ajoutait simplement à son travail. Mais aujourd’hui pour la première fois, on les présente en tant qu’œuvre d’art à part entière. Avec la performance, on entre dans la pratique de l’artiste, on comprend son processus. Elles accompagnent l’œuvre en effet, mais elles sont également des performances.
5. Quelles parallèles observez-vous dans sa production artistique ?
On peut voir plusieurs parallèles dans son travail, en particulier la seconde Ecole de Paris d’après-guerre, ou encore avec l’artiste Serges Poliakoff (1906-1969). Mais son langage esthétique est singulier : elle a une manière étonnante d’assembler la danse et la peinture. Sa plus grande inspiration est Pina Bausch qui est l’incarnation de la danse renouvelée, de la danse qui donne naissance et arrive à faire dégager des sentiments forts.
6. Ce premier solo show à Paris définit -il votre ligne directrice dans le choix de vos artistes par la suite ?
Bien sûr. On a déjà des artistes représentés par la Double V Gallery à Marseille comme B.D. Graft, artiste qui réalise des natures mortes de plus ou moins grands formats, Maximilien Pellet qui travaille la céramique, Alice Guittard qui travaille notamment le marbre… Nous avons un ensemble d’artistes émergents pour la plupart, français et étrangers. Notre ligne directrice se concentre sur la jeune création avec des œuvres d’un ravissement esthétique immédiat. Notre objectif est de mettre en valeur la création contemporaine en étant accessible pour tous.
7. Les formats sont très différents. Était-ce un choix de scénographie ?
Caroline présente de grandes pièces pour marquer cette exposition et ce tournant dans sa carrière, mais nous avons aussi de plus petits formats. Elle va s’amuser à jouer avec les tailles de ses œuvres. Par exemple, elle n’utilise pas de papier prédéfini à taille standard, elle va les couper, encore et encore. Elle joue à assembler les couleurs. Par exemple, elle peut décider d’utiliser le rose en couleurs dominante, puis elle va ajouter des couleurs comme le bleu et le blanc de manière instinctive.
8. La Double V Gallery s’est installée à Paris dans un contexte difficile, avec des annulations et reports d’exposition, comment et pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir à cette période ?
Ouvrir une galerie à Paris s’est imposée comme une évidence car nous avons de plus en plus de collectionneurs étrangers, qui s’arrêtent généralement à Paris. Notre volonté était de toucher un plus large éventail de collectionneurs malgré la crise sanitaire. L’originalité de l’espace du 37 rue Chapon, c’est que nous le partageons avec la galerie clermontoise Claire Gastaud sous forme de « collocation » : chacun y développe sa propre programmation à tour de rôle. On garde notre identité marseillaise tout en mettant un pied sur la scène parisienne.
9. C’est important de mutualiser les moyens quand on est une jeune galerie ?
Oui c’est très important. Cela nous permet de grossir encore plus vite et ensemble. Il faut pouvoir se soutenir les uns et autres. On est notamment dans une partie de Paris où s’installe des galeries émergentes comme Julien Cadet et Anne-Sarah Bénichou qui ont un grand poids dans le paysage parisien, et qui nous permettent d’avoir une force bien plus importante que si nous étions seuls dans notre coin.
10. Quel a été votre parcours pour arriver dans une galerie parisienne ?
Je suis assistante Galerie, Presse et Communication. J’ai réalisé une licence d’histoire de l’art et anthropologie avant de rejoindre l’IESA à Paris, école de marché de l’art. J’ai effectué de nombreux stages en galeries d’art mais également dans des revues de presse spécialisées notamment Art absolument et L’Officiel des Galeries et Musées où j’ai pu apprendre énormément sur le monde des galeries et musées. J’ai pu me familiariser avec les professionnels du monde de l’art, qui est plus que nécessaire pour faire ce genre de métier. Et j’espère que ça me mènera loin.