HAPPY TOGETHER
Gilles Balmet et sa collection s’exposent
Au Pavillon Carré Baudoin
du 19 mai au 2 octobre 2021
Il y peu de temps l’artiste, enseignant et collectionneur Gilles Balmet nous présentait, HAPPY TOGETHER, une double exposition consacrée à la fois à son travail personnel et présentant un ensemble de 150 œuvres d’artistes français et internationaux, issu sa collection personnelle (totalisant près de 350 pièces), construite sur des achats en ventes publiques, ventes caritatives, acquisitions sur Ebay, et surtout constituée d’échanges entre artistes.
Une exposition réjouissante, relevant d’une pratique intime basée sur le troc, les coups de cœur, une très bonne connaissance de l’art contemporain, et parfois de la frustration. Une exposition dans laquelle les visiteurs pourront aussi découvrir le travail de l’artiste au travers d’un ensemble d’œuvres issues de différentes séries comme les Ink Mountains, les White Rains, ou les Silver Mountains, explorant un territoire mitoyen entre la peinture et le dessin, l’abstraction et la représentation paysagère.
L’exposition se divise en 3 espaces, au rez-de-chaussée le travail personnel de l’artiste, et à l’étage la salle des achats constituant 10 % de la collection de Gilles Balmet, et la salle des échanges constituant les 90 % restants de sa collection.
Au gré d’une déambulation avec l’artiste collectionneur dans ces trois espaces, celui-ci nous confie ses coups de cœur, nous raconte l’histoire de sa collection et nous prodigue de précieux conseils pour constituer une collection.
/// Stéphane Gautier
Officiel des Galeries & Musées : Quand et à quelle occasion avez-vous commencé cette collection ?
Gilles Balmet: « C’était avec Pierre Bismuth en 2002 à l’École des Beaux-Arts de Grenoble. Quand les artistes viennent en workshop dans une école, on fait des sessions de de discussion. Pierre m’avait fait un petit dessin sur une serviette McDonald pour illustrer la question de la symétrie dans les clips de David Bowie. Nous avions beaucoup discuté, et je lui ai demandé de me dédicacer ce dessin et il me l’a signé et daté. C’est ce premier échange qui m’a donné l’idée de continuer et d’échanger avec des camarades de promo quand j’ai fini l’École d’arts de Grenoble en 2003. »
◊ Parcours dans la salle des achats,
Réalisé pour des sommes modestes lors de ventes caritatives ou à quelques occasions bien choisies
OGM : Racontez-nous la genèse de cette collection construite au fil des années et quels conseils donneriez-vous pour acquérir des œuvres ?
G.B : « Dans la salle des achats est regroupé un ensemble d’une trentaine d’œuvres acquises pour des sommes très modestes trouvées lors d’occasions particulière comme des ventes caritatives. Ce sont des choses que j’ai payée pour une centaine d’euros, ce qui peut être assez étonnant car il y a des pièces de grands artistes ».
Pour son premier achat chez Drouot, un dessin de Frédéric Poncelet, proposé en vente et que le collectionneur n’a pas payé non plus le prix affiché en galerie, Gilles Balmet nous confie que c’est son premier coup de cœur et une bonne occasion d’acheter son travail.
Devant un autoportrait de Marc Bauer, son premier achat chez Christie’s pour une somme extrêmement modeste pas du tout au niveau de la cote de l’artiste Gilles Balmet précise:
« C’était une fin de vente et les gens ne devaient pas trop savoir ce que c’était. Effectivement il fallait savoir que c’était son autoportrait, et comme j’avais déjà échangé une œuvre avec lui je savais à qui j’avais à faire. De plus il s’avère que cet autoportrait provient de la collection de Claude Berri. Donc il a un beau pedigree.
Je fais confiance à mon regard d’artiste, et c’est quand même un avantage d’être artiste et collectionneur. J’ai l’expertise de l’artiste qui peut juger si une pièce est plus ou moins bonne, authentique ou pas.
Ainsi devant une lithographie d’Hans Hartung, acquise pour moins 1000 euros et achetée sur ebay.
« C’est un antiquaire qui me l’a amenée, et comme j’avais déjà le catalogue raisonné, j’ai pu vraiment voir que c’était une vraie avec le timbre de l’éditeur. Il y avait dans l’annonce sur e bay beaucoup photos et un descriptif honnête. »
Acheter des multiples
Je n’ai pas les moyens d’avoir une œuvre originale et unique. J’ai donc acheté cette sérigraphie de Viallat à la librairie du Carré d’Art de Nîmes. C’est une édition tirée je crois à 60 exemplaires, et elle est imprimée sur du carton ondulé. C’est donc une pièce qui a la puissance d’une peinture et qui est pourtant une édition sérigraphiée. J’ai aussi acheté aux éditions de la Galerie multiples une œuvre de Gyan Panchal. C’est un sculpteur avec des pièces a des prix importants. J’étais un peu frustré de ne pas pouvoir échanger avec lui. Alors j’ai acheté cette édition qui synthétise assez bien son travail en une image avec cette pomme en polystyrène sur les matières liées au pétrole.
Trouver les occasions : les ventes caritatives
Ici une œuvre de l’artiste Eva Nielsen, une jeune peintre qui n’échangea pas son travail et comme j’étais un peu frustré, j’ai acheté une de ses pièces dans une vente caritative pour la somme de 100 euros. Il y a quelque chose d’assez drôle dans certaines ventes caritatives, vous avez des centaines d’œuvres accrochées aux murs et l’on vous révèle le nom de l’artiste qu’après avoir payé l’œuvre.
J’ai ainsi acheté un dessin de Claude Closky intitulé 50/50 assez conceptuel dans une écriture graphique très légère au bic.
Ce principe de vente est comme un pari et ça m’excite beaucoup. Ça m’amuse de me dire, tiens, est ce que mon œil va me permettre de repérer qui a fait quoi ? C’est un jeu en fonction de ce que je connais.
De l’importance de la documentation
« Voilà des années que j’achète des livres d’art, et il faut bien que cela serve à quelque chose. Et finalement ça sert à se constituer un œil, un regard sur le travail. Ainsi pour le dessin de Claude Closky, j’ai pu l’identifier car j’ai reconnu sa graphie, sa simplicité et sa radicalité dans l’économie de moyens développés pour une œuvre qui joue sue cette idée des divisions et des additions
Je fréquente beaucoup les librairies, j’achète des livres pas cher chez Gibert ou au marché aux livres dans le 15 ème arrondissement, je vais visiter les galeries et les musées. Quelqu’un qui collectionne doit avoir un rapport au sérieux. C’est un vrai travail, et surtout être curieux. Rencontrer les artistes, visiter les ateliers quand c’est possible. C’est à mon avis très formateur pour comprendre la réalité des matériaux et techniques employés. Comment travaille un artiste ? Quels sont les processus d’évolution d’un travail aussi ? Avoir une grande curiosité pour les artistes.
On est aujourd’hui dans une espèce de flux permanent d’images, comment améliorer son œil et son regard porté sur les œuvres ? Ce n’est pas simple, il faut en voir le plus possible mais avec des points de repères. Par exemple, les collections publiques avec les catalogues du cabinet d’art graphique du Centre Pompidou, c’est une mine d’or. Les Frac (fonds régionaux d’art contemporain) ont des catalogues en ligne. Rien ne nous empêche par la suite de creuser ses connaissances sur un artiste et son œuvre en se renseignant auprès de sa galerie. »
OGM : Un achat en galerie, c’est un achat accompagné, conseillé, et c’est toute la différence avec un achat en salle des ventes, êtes-vous d’accord ?
G.B : « Effectivement, on, peut commencer par un achat en galerie, si l’on a la confiance d’un bon galeriste, ça peut être quelque chose de très intéressant. On peut aussi acheter directement à l’artiste et même en ventes aux enchères pourquoi pas, tout est possible. Mais il faut tout d’abord acheter ce qui nous plaît, ce que l’on aime. Puis il faut se demander pourquoi on aime ceci. Est-ce que l’œuvre n’est pas trop facile, séduisante ? Est ce qu’elle va résister au temps ? Comment est-ce que ça peut s’inscrire dans l’histoire de l’art ? Est-ce que la démarche d’un artiste est originale ou pas ? C’est pour cela qu’il faut se renseigner, avec des livres. Un éditeur est un filtrage qualitatif important, il a une expertise de son champ, et il faut faire confiance aux experts.
◊ Salle des échanges
90 % de la collection de Gilles Balmet sont constitués à la suite d’échanges entre artistes dans l’idée d’une estime réciproque.
OGM : Quel est le ressort qui procède à vos échanges ?
G.B : « Quand j’ai une forme de stimulation, j’aime bien me dire, est ce que je peux proposer un échange ou pas ? Est-ce que l’artiste va être réceptif ? Est ce qu’il peut considérer mon travail comme équivalent, est ce qu’il est intéressé par mon travail ?
Ces échanges se font donc autour de de la question de l’estime réciproque du travail. Certains artistes refusent l’échange. Je le leur propose, et ils me disent non, je ne collectionne pas ou ils pourraient me dire votre travail ne m’intéresse pas. Cela m’est arrivé rarement, mais je pourrais l’admettre. »
OMG : Lorsque vous proposez une pièce à un autre artiste, est ce vous qui choisissez la pièce ? Comment cela se passe-t-il ?
G.B : « L’échange se fait en fonction de ce qui est possible, de ce qui est disponible, de ce que je considère comme abouti, c’est à dire que je n’échange pas des fonds de tiroir ou les restes. J’aime que les œuvres soient de qualité, exposables, et je parle aussi bien des miennes que de celles des autres artistes. Par exemple, Simon Schubert a exposé la pièce que j’avais échangée avec lui à Cologne. Donc il y a des artistes qui comme moi collectionnent sur ce modèle de l’échange et en font une pratique. »
OMG : Est-ce que vous mettez une attention particulière dans la pièce que vous allez donner ? Est-ce que vous la choisissez en fonction de l’artiste ?
G.B : « Oui en fonction de ce que j’estime que l’artiste pourrait aimer. Mais parfois, je joue sur les contraires. J’ai souvent eu des étonnements quand une artiste par exemple qui travaille uniquement en noir et blanc va être plus attiré par la couleur dans mon travail. Je me demande parfois si l’artiste a une préférence dans ma production, ce qui lui ferait plaisir ou pas ? J’emmène souvent un carton avec plusieurs œuvres. L’échange peut être aussi de plusieurs pièces contre une. Cela m’est arrivé avec des artistes plus connus, plus chers ou plus cotés que moi. Il est vrai que la question de l’argent m’intéresse assez peu dans cette histoire, mais ça peut entrer en ligne de compte selon la personne. Des artistes conscients de leur prix ou de leur valeur financière peuvent aussi être un peu plus difficiles dans le cadre d’une négociation, d’un échange, mais cela me semble tout à normal. »
OGM : Y a-t-il des médiums auxquels vous êtes particulièrement sensible ?
G.B : « Je suis très sensible à la peinture et au dessin. J’enseigne le dessin aux Beaux-Arts c’est donc un peu mon médium de prédilection. J’aime les œuvres transportables, mais j’ai aussi de la sculpture, du volume. Par exemple cette pièce de Marie Havel qui est une de mes anciennes étudiantes. C’est à priori un moule pour châteaux de sable, mais qu’elle détruit. Elle crée une sorte de ruine qu’elle retravaille, et ensuite ça donne cet espèce de ready made modifié d’un seau à châteaux de sable. Là Il y a Morgane Tschiember qui est une artiste assez connue. Elle travaille à partir de mousse d’isolation phonique, et elle attache cette mousse par la suite avec la technique japonaise du shibari, puis la trempe dans un bain de porcelaine cuite à haute température. La mousse de plastique a été dissoute, elle a disparu et il ne reste que la porcelaine. C’est une petite pièce que je suis allé échanger dans son atelier, c’est un volume que je pouvais transporter et ramener en RER. »
OGM : Savez-vous ce que deviennent vos œuvres après les avoir échangées avec un autre artiste ?
G.B : « Elles sont des fois exposées chez les artiste qui ont échangé avec moi, et ils sont heureux de les montrer. J’ai pu d’ailleurs rencontrer des collectionneurs qui sont devenus des amis grâce à ça, c’est à dire qu’un collectionneur a découvert mon travail chez un artiste et qu’il est venu par la suite dans mon atelier m’acheter une pièce. Comme ça, cela crée une sorte de réseau. C’est un cercle vertueux que je trouve intéressant à essayer de développer. »
OGM : Pensez-vous qu’être artiste fait de vous un bon collectionneur ?
G.B : Je pense clairement que les connaissances que j’ai apprises dans mon métier me permettent d’avoir un regard d’une meilleure portée. Après avec la limite financière, je n’achète pas tout ce que je voudrais. Donc je tente d’échanger avec la frustration aussi de ne pas pouvoir échanger tout. Il faut accepter ses limites là et en tirer le meilleur, et en fin de compte, ses limites là me conviennent tout à fait.
Gilles Balmet ♦ Biographie
Gilles Balmet est un artiste né en 1979 à Grenoble. Il vit et travaille à Paris depuis 2004. Il est- diplômé de l’École supérieure d’art de Grenoble en 2003 où il a eu comme professeurs Ange Leccia, Jean-Luc Moulène, Martine Abbaléa, Joël Bartoloméo ou encore Gianni Motti. Il expérimente dans ses ateliers à Paris et Grenoble de nouveaux modes de création d’images : soit résolument abstraites, soit à la frontière de l’abstraction et de la représentation paysagère. Il crée des œuvres picturales ou dessinées à partir de protocoles précis laissant une place à l’aléatoire et à sa maîtrise. Il a réalisé plus d’une centaine d’expositions dans des centres d’art contemporains, des musées et des galeries. Il a été l’un des nominés au Prix Ricard en 2006. En 2010, il a séjourné six mois à Kyoto et dans le reste du Japon, puis lors d’un deuxième séjour en 2014.
Gilles Balmet a exposé son travail en France et à l’étranger : au Musée d’art contemporain de Lyon, au FRAC Champagne-Ardenne de Reims, au musée du Petit Palais à Paris, au Musée Géo-Charles d’Echirolles, au Palais de Tokyo à Paris, au Musée Régional d’Art Contemporain de Sérignan, à la Panacée à Montpellier, à la Collection Lambert en Avignon, à l’Institut Franco-japonais du Kansaï à Kyoto, ou lors d’ArtPlatform LA à Los Angeles. Il a réalisé en 2006 un ensemble de vitrines pour Hermès dans huit villes d’Italie. Il travaille depuis 2008 avec la Galerie Dominique Fiat à Paris où il a réalisé en 2016 sa quatrième exposition personnelle. Il a été nommé en 2012 professeur à l’École supérieure des Beaux-arts de Montpellier devenu récemment le MO.CO Esba. Il a réalisé une œuvre monumentale pérenne pour la médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine de Charenton-le-Pont. Son travail est présent dans de nombreuses collections publiques et privées.
Pavillon Carré de Baudouin
- Adresse : 121 rue de Ménilmontant
- Code postal : 75020
- Ville : Paris
- Pays : France
- Site Internet : www.mairie20.paris.fr