En janvier dernier, l’artiste plasticienne Marlène Mocquet nous recevait dans son atelier, jardin, forêt habité par ses quinze vases en porcelaine décorés de la collection de Sèvres, au milieu duquel trône, pour un banquet imaginaire, une table dressée avec son service de douze assiettes en grès au milieu d’un univers onirique.
/// Stéphane Gautier
Une œuvre régénératrice, c’est peut-être comme cela que se nourrit Marlène Mocquet, de son propre travail protéiforme et prolifique, passant de la terre à la toile, et de la toile au papier peint réalisé pour l’exposition L’autre côté de la scène au centre Julio Gonzales d’Arcueil. Chaque travail en générant un autre. Car c’est une ogre qui habite ce jardin, qui dévore et explore. Sûrement a t’elle du croquer l’une de ses « pommes d’amour, pommes fatales », car elle voit les choses en grand, ayant une prédilection pour les projets d’envergure tels l’installation immersive au plafond de l’escalier d’honneur d’un hôtel montpelliérain pour lequel elle imagine un dialogue entre l’histoire du lieu et son propre travail.
« Je me suis immergée dans ce lieu et ces plafonds du XVIIe siècle et y ai peint un ciel végétalisé en écho au travail de Richer de Belleval, botaniste médicinal sous Henri IV. J’ai fait entrer la végétation dans ce lieu à l’image d’une tonnelle, en travaillant sur des feuilles de laiton oxydées, en créant une corne d’abondance avec des pommes, en résonance au dessert populaire des frères Pourcel La Pink Lady – Pomme d’amour, et en reprenant deux planches de l’herbier de Richer de Belleval. »
Elle rend ainsi un hommage au lieu et à son histoire en condensant les éléments de son propre univers avec ceux botaniques et géographiques de la région dans laquelle elle intervient. À la manière d’un décor rocaille, des oiseaux migrateurs seront disposés dans l’espace, envahissant les corniches avec par exemple un héron en bronze échelle 1 perché sur une branche en bronze échelle 1 dans l’espace.
Intitulé Longue Vue, elle crée sur ce plafond un univers total dans lequel le visiteur devient d’acteur ; ayant à portée de main une paire de jumelles, il prend la place du promeneur qui observe.
Marlène Mocquet aime inventer des mondes. Ceux peuplés d’étranges et séduisantes petites créatures qui peuplent ses toiles, ceux de ces forêts imaginaires, envahies par les mousses et la terre à l’image d’un projet pour le Centre Julio Gonzales. « Quand on m’invite à faire un projet pour un espace déjà existant, je le réinvente, j’y crée une scénographie et le conçois comme une toile en trois dimensions. »
On se rappellera son intervention toute en nuances pour le Musée de la Chasse et de la Nature en 2017 dans lequel elle établit un dialogue avec le lieu sans trop y être présente – mais sans pour autant y être absente -, comme une partition de musique tout en justesse.
L’espace pour Marlène Mocquet est comme un support de peinture dans lequel elle s’intègre et peint. « L’exposition existe avant même qu’elle soit créée grâce à mes simulations où je prends des photographies de l’espace vierge et y intègre mes éléments, in fine je travaille comme si je commençais une peinture, je crée ma propre composition de l’espace, ce qui me permet de savoir combien de peintures et de sculptures je dois faire. Tout est déjà inscrit en amont, dans ma tête ».
Et la tête de Marlène Mocquet nous fait voyager, « ce qu’il y a de récurrent dans mon travail, c’est l’invitation au voyage, c’est l’invitation à se créer son propre chemin. Ainsi à la Galerie Laurent Godin, j’ai fait en 2014 une exposition intitulée Les Grandes Eaux, dans laquelle j’avais décidé d’installer dès l’entrée 5m cubes de terre où trônait une sculpture monumentale en céramique. Cela a perturbé les visiteurs qui ont dû se frayer leur propre chemin à travers la terre pour accéder à la suite de l’exposition. Le visiteur créait ainsi sa propre pérégrination, quitte à avoir des traces de terre un peu partout dans l’exposition et qu’ainsi elle continue à vivre. Des pousses de marronniers sont apparues au cours de l’exposition, à l’image de mon travail qui continue de grandir. J’ai un rapport au vivant dans mon travail, un rapport à la promenade, au cheminement, qui est très marqué. Je suis sensible au chemin parcouru par la pensée et qui va nous emmener quelque part ».
Le travail de Marlène Mocquet a un rapport au vivant, sa peinture continue à bouger, elle est mouvante. « Au Musée de la Chasse et de la Nature, un lieux sombre et chargé, il fallait que je sois présente mais sans trop prendre de place, et donc j’ai décidé de faire de la peinture sur aluminium, car comme un miroir, toutes les gammes chromatiques de chaque pièce allaient se refléter sur le support et j’allais récupérer de la lumière, des éclairages. » Le reflet est un nouvel élément dans le vocabulaire de Marlène Mocquet, car au-delà du double qu’il crée, il est aussi un élément perturbateur dans la lecture de l’œuvre et de l’espace l’accueillant. Ainsi l’artiste a t’elle privilégié pour Private Choice une peinture sur plaques d’aluminium, se jouant de l’espace : « c’est comme si l’espace devenait un autre support dans lequel je m’intègre et je peins, c’est le lieu, l’espace qui a dicté le choix de l’aluminium . »
La peinture de Marlène Mocquet se reflète dans sa sculpture et inversement, ce qui interroge la trans-identité de l’œuvre, toujours dans l’optique de créer un univers total.