Madi, artiste peintre née à Antibes, vit à Lisbonne où se trouve son atelier. Elle a développé un style artistique unique grâce à de nombreuses recherches et collaborations. Elle s’est d’abord orientée vers une production artistique en noir et blanc, foisonnante de détails particulièrement méticuleux. Son écriture artistique a ensuite évolué vers une gestuelle spontanée et vive, l’amenant à travailler la peinture avec des couleurs lumineuses. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Madi. Pour ce premier volet de « Dans les coulisses de la création », l’immersion est garantie.
/// Eléonore Blanc
1. Comment est née votre vocation d’artiste ? À quel moment avez-vous voulu être artiste ?
Mon premier souvenir remonte à l’enfance. Mon grand-père faisait de la peinture à l’huile. Son atelier était jonché de paysages, de natures mortes et l’essence de térébenthine embaumait la pièce. J’ai très vite été fascinée par cette pratique qui me procurait une grande joie. J’étais une enfant solitaire, en décalage et j’ai toujours eu le sentiment de devoir m’adapter pour trouver ma place.
L’art a résonné comme une évidence, si je ressentais cette joie je devais toute mettre en œuvre pour qu’elle ait une place primordiale dans ma vie (c’est drôle en l’écrivant, je me rends compte que c’est un challenge toujours très actuel).
Je pense que l’on peut clairement employer le terme de vocation.
2. Quel a été votre parcours artistique ?
J’ai fait une classe préparatoire d’arts appliqués de l’École Normale Supérieure de Cachan et ensuite je suis partie à Bruxelles où j’ai eu la chance de passer 3 ans en section Peinture à l’École de la Cambre.
Mon cheminement artistique a eu un démarrage très scolaire, je me suis forgée au gré des enseignements (et j’ai adoré ce processus). Par la suite j’ai eu besoin d’une rupture et de me plonger dans le vif du sujet. Je suis partie 4 mois à New-York en tant qu’assistante de deux artistes français, Koralie et SupaKitch. Leur attitude bienveillante m’a profondément aidé, leurs conseils, leurs expertises, et surtout une gentillesse à toutes épreuves, bref, cette expérience m’a surtout apporté deux nouveaux membres dans ma famille artistique.
3. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Cette question est toujours difficile pour moi. Je n’ai pas de mots précis, je réponds souvent « si j’arrivais à le dire, je ne le peindrais pas ». Évidemment que l’on peut voir dans mon travail des influences, j’ai été très marqué par l’époque cubiste, les découpages de Matisse ou encore l’abstraction de Sonia Delaunay.
Quand je suis dans mon atelier, l’énergie du lieu me conditionne à la création. Mes toiles m’entourent, je peux passer de longs moment à observer avant d’agir.
Une couleur libère un parfum, une teinte émane d’un sourire, une ligne représente de la musicalité. Je ressens un peu le même phénomène lorsque que je cuisine, j’associe selon une envie fulgurante, je goûte, je suis investie tout entière et je déguste. Le goût détermine l’expérience, il en est de même pour une toile. Je visualise un chemin, un parcours, des ingrédients qui s’associent et leur dosage est intuitivement crucial.
4. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre projet actuel ?
Je prépare un solo show chez Hashimoto Contemporary à San Francisco en février 2022.
Ce projet est pour moi l’opportunité de proposer une série de peintures qui fait écho à mon état actuel. Mon travail a pris pas mal d’ampleur ces derniers mois, je me retrouve un peu propulsée dans une nouvelle dimension. Mais j’apprends et surtout je m’organise au mieux pour préserver mon temps de création.
Pour vous donner un exemple concret, mon obsession actuelle consiste à peindre des citrons car ils me permettent de m’ancrer dans le réel. Je ressens le besoin d’inclure des objets qui par leur présence nous ouvre les portes du lieu commun. Et c’est la confrontation imaginaire/réel qui prend le relai. La peinture est comme un outil qui me permet de voyager, mon esprit vagabonde et se laisser porter par la composition.
Aujourd’hui j’ai envie d’aller au bout des choses. Mon amour de la couleur est un réel moteur et les teintes sont des prétextes pour amorcer une toile. Il y a un côté profondément ludique, un état enfantin, trop précieux pour le négliger.
5. Vous avez réalisé de nombreuses collaborations éclectiques, dernièrement pour l’édition limitée d’un vin du vignoble de Minuty, pour le Freehold Hotel à Brooklyn ou encore pour le parfum Bloom de Gucci. Avez-vous des collaborations en cours ? avec qui aimeriez-vous collaborer ?
J’ai de très jolies collaborations en cours. J’ai travaillé sur des motifs de papiers peints avec une belle maison Française ainsi que des collections textiles à partir de mes toiles.
Je suis particulièrement fière de ce qui arrive cette année, je ne peux malheureusement pas en dire plus pour le moment !
6. Quelle a été votre collaboration préférée ? Pour quelles raisons ?
C’est dur de choisir car c’est à chaque fois une vraie stimulation créative, je suis complètement investie et très nostalgique quand les projets se terminent !
Pour le Freehold Hôtel par exemple, j’étais à New-York en voyage et la fresque s’est décidée autour d’un café. Au-delà de la dimension professionnelle, je tisse des liens humains et j’en apprends beaucoup.
J’ai une vision assez édulcorée de la collaboration. La solitude de l’atelier appelle parfois à la confrontation aux autres. J’ai besoin que cet échange soit facile et dans la lignée de mon travail actuel.
7. Quels sont vos projets futurs ?
Mon principal objectif aujourd’hui et de développer ma carrière de peintre. C’est un long processus, j’apprends à être patiente et je savoure le voyage.
Je crois qu’il est temps pour moi de me focaliser sur le domaine qui me procure le plus de plaisir. J’ai envie d’explorer des nouvelles dynamiques picturales, de jouer avec la couleur, de manipuler des grands formats. Je pense n’être qu’au début de cette histoire. Mon langage pictural est là, je me sens mature et consciente sur les enjeux.
À présent j’ai envie d’explorer. Me perdre dans mes formes, créer des personnages, jouer avec de la typographie. En parallèle de tout ça, j’écris (beaucoup) et c’est un volet que je me sens enfin prête à dévoiler.
Clairement, la déclinaison est évidente, mon défi est de la gérer intelligemment et avec parcimonie.
Pour vous donner un exemple, j’ai très envie de créer une sculpture, je travaille dessus depuis quelques semaines. Je visualise de plus en plus mon univers en 3D, affaire à suivre …
8. Pouvez-vous nous présenter une œuvre à laquelle vous tenez particulièrement ? Pour quelles raisons ?
C’est la dernière toile que j’ai peinte dans mon atelier à Lisbonne. Elle me procure de la joie, le citron est là et il a trouvé sa place….
9. Avez-vous un format de prédilection dans la création de vos œuvres ? Une technique préférée ?
La peinture sur toile. Cette technique est infinie, chaque fragment m’interpelle et me donne envie d’en créer une autre. Le geste en lui-même m’apaise énormément, il m’ouvre les portes d’un instant suspendu, le temps s’arrête et je suis bien, pour de vrai.