Lionel Sabatté et l’« Éclosion »

Lionel Sabatté et l’« Éclosion »

C’est dans son atelier du Près-St-Gervais, tout à côté de Paris, que l’artiste français Lionel Sabatté nous reçoit. Plasticien pluriel, il s’est fait connaître il y a une quinzaine d’années en modelant un bestiaire étrange dans des matières peu académiques : une meute de loups faite de moutons de poussière (La Meute — 2006-2011), une petite chouette en ongles et peaux mortes qui semble s’animer (Chevêche Athéna — 2010), des formes amphibiennes se dissimulant sous des pièces de monnaie rouillées, de petites silhouettes de fées s’habillant d’ongles humains et d’ailes de papillon endommagées ou encore, des boucs modelés dans du thé. Chaque matière donne lieu à une série de sculptures déclinables. S’ajoutent aux objets les peintures à l’huile aux formes minérales et organiques, des peintures sur fer oxydable, des dessins au charbon, des dessins brûlés et des dessins à la poussière. Une multitude d’œuvres dont une trentaine seront bientôt rassemblées dans sa première exposition personnelle de grande envergure en musée. À partir du 17 septembre, au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne s’ouvrira « Eclosion ».

/// Sandra Barre

Cet emploi du terme « Eclosion » semble assez parlant pour une exposition de cette ampleur. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

 

L’idée de l’éclosion est venue de manière assez naturelle, au cours des conversations que nous avons eues avec Aurélie Voltz, la commissaire de l’exposition. L’exposition était initialement prévue au printemps, à cause de la situation sanitaire, elle a été reportée, mais j’ai voulu conserver le titre. Ce moment d’éveil, de floraison est important pour moi. D’abord, il est lié directement à une série d’œuvres que je fais depuis quelque temps qui convoquent des fleurs en peau de pied. Puis, l’éclosion caractérise l’état d’esprit dans lequel je me trouve en ce moment. Les choses se transforment, évoluent. L’éclosion, au-delà de ce que cela raconte de la beauté des fleurs, c’est un moment de crise, un moment de changement rapide et violent. Un oiseau qui éclot en cassant sa coquille, un enfant qui crie quand il arrive au monde, tout cela relève d’une ambivalence qui me plaît, et qui s’inscrit dans un cycle plus dense qu’il n’y paraît. C’est beau et bouleversant à la fois.

Lionel Sabatte, Rencontre, 2021, oxydation sur plaque de métal, 200 × 450 cm. Photo : Rebecca Fanuele © Adagp, Paris 2021

Oui, l’éclosion serait un peu comme une étape de la transformation, un concept qui revient souvent dans ton travail.

 

La transformation est très importante pour moi. J’ai une forme de manie dans l’usage de matières touchant à l’abject, j’ai toujours besoin de les remanier, de les métamorphoser. Justement, je pourrais parler de cela en partant de l’une des œuvres que je vais présenter à Saint-Étienne, Pot de Pierrette (2021), qui est la transformation d’une plante en pot de l’artiste Pierrette Bloch. C’est drôle, je ne l’ai pas connue en personne, mais je me suis lié d’amitié avec son ayant droit dans un bus alors que j’allais visiter une grotte. Il m’a donné l’une de ses plantes en pot, une plante morte, sèche, sur laquelle j’ai posé ces fameuses fleurs de peau. Là, quelque chose d’abject, ces rognures, quelque part les plus répugnantes qu’on pourrait porter, sont transformées en de délicats pétales. Ils évoquent la beauté, la fragilité, l’esthétique qui est très souvent attachée aux fleurs. Le corps humain s’associe à la représentation de la nature. On revient à l’éclosion, un moment particulier du cycle naturel qui parle du vivant en général. La fleur c’est l’organe sexuel du végétal. Elle appelle la pollinisation et est un lieu de rencontre pour les insectes… Ces peaux aussi sont un lieu de rencontre. Elles rassemblent l’ADN de plusieurs milliers de personnes qui ne se sont jamais vus, jamais parlé, et elle permet un lien entre Pierrette et moi. Cette plante est presque un arbre généalogique à elle seule. Elle raconte la transmission d’une artiste à un artiste, et rappelle que nous venons toutes et tous du même endroit, des mêmes racines.

Lionel Sabatte, Printemps 2021, 2021, photo : C. Cauvet/MAMC+, © Adagp, Paris 2021

J’ai l’impression que cette idée de la transmission est particulièrement devenue importante pour toi ces derniers temps, non ? C’est ce qu’on peut constater à un autre niveau avec la pièce qui clôturera cette exposition « Eclosion » puisque tu nous disais que dans le procédé même, il y avait quelque chose de l’ordre de la diffusion et du transfert ?

 

Disons qu’elle a pris un autre essor. La transmission a toujours été là, mais c’est vrai qu’avec la situation actuelle, elle prend un autre tournant. Sur la dernière pièce de l’exposition, Le tissu, qui est toujours en construction, il y a quelque chose de l’ordre du partage. Non seulement dans la pièce elle-même, mais aussi parce que c’est la première fois que je fais appel à des stagiaires et à des jeunes artistes pour la construction d’une de mes œuvres. L’œuvre en question, un tissu carré de peaux assemblées, collées ensemble, demande beaucoup de temps et de patience. Et quand j’ai commencé à la monter, en octobre dernier, je me suis revu jeune artiste. J’ai alors décidé d’investir la bourse que j’avais gagnée lors du Luxembourg Art Prize dans la création de cette pièce en faisant appel à celles et ceux qui sortent des écoles et qui vivent un moment difficile.

Lionel Sabatté, Signe, 2020, Oxydation sur plaque de métal, 200 × 150 cm, collection privée, photo : R. Fanuele, © Adagp, Paris 2021

musée d’art moderne et contemporain de Saint Etienne

  • Adresse : Rue Fernand Léger
  • Code postal : 42270
  • Ville : Saint-Etienne
  • Pays : France