Portrait savoureux de l’artiste Jacques Halbert à l’occasion d’Art Paris

Portrait savoureux de l’artiste Jacques Halbert à l’occasion d’Art Paris

Né en 1955 à Bourgueil en Touraine, Jacques Halbert vit et travaille dans son atelier de Candes Saint-Martin, revenu sur les terres de son enfance après avoir parcouru une partie du monde et notamment l’Amérique du Nord. 


/// Stéphanie Bros


L’idée de mouvement dans l’histoire de l’art et le sentiment d’appartenance à une communauté artistique

Après 50 ans de carrière artistique, vous avez tout vu dans l’Art ! Rattaché un temps au mouvement Fluxus (sa rencontre avec Jean Dupuy est décisive), l’idée et l’appartenance à une communauté artistique, je crois, vous est chère. C’était quoi à l’époque appartenir à un mouvement comme Fluxus ? Racontez-nous.

Je me suis littéralement goinfré d’art. Dès l’âge de quinze ans, mon père me conduisait à Paris et me déposait dans un petit hôtel où je restais une semaine au Louvre pour me rassasier goulûment d’œuvres d’art. Puis il revenait me chercher. Lui n’est jamais entré au Louvre.

Les Fluxus sont de la génération qui me précède mais j’ai eu la chance de les fréquenter un temps. Lorsque je suis arrivé à New York en 1978, mon seul contact était celui de Jean Dupuy, que m’avait donné Joël Hubaut. Entre nous ce fut un coup de foudre amical instantané et Jean m’a fait connaître tous ces artistes qui avaient été si radicaux. Nam June Paik avait le loft de l’autre côté de la porte et c’était Fluxus à tous les étages du 537 Broadway. Invité à de nombreux évènements, j’ai réalisé des performances seul ou en groupe dont les célèbres « grommet shows » de Dupuy. Jean m’a également fait connaître Raymond Roussel et les écrits d’Eric Satie, ce qui fut une révélation.

Cela ne fait pas de moi un artiste Fluxus. Je suis profondément peintre et Fluxus est le mouvement le plus anti-peinture qui soit. Mes amitiés avec Olivier Mosset, Raymond Hains, André Cadéré, Alain Tchillinguirian, François Morellet, Konny Steding, Daniel Dezeuze, Christian Xatrec, Daniel Spoerri, Ben, ORLAN et beaucoup d’autres artistes, connus ou pas, furent également de riches expériences, souvent contradictoires.

Il y a un renouveau aujourd’hui des groupes d’artistes mêlant les disciplines et partageant des espaces de création sous le prisme des collectifs. Alors que l’artiste s’est individualisé à partir des années 90, on retrouve cette évolution dans votre pratique artistique qui consacre un travail en solitaire dans le secret de l’atelier. Regrettez-vous cette disparition des communautés d’appartenance esthétiques et artistiques ?

Par principe, l’activité d’artiste est une expérience individuelle. On est seul dans l’atelier. A vingt et un ans, il m’a fallu une certaine audace pour quitter la province, « monter » à Paris et circuler dans les allées de la FIAC (1976) avec mon triporteur pour vendre des tartelettes aux cerises à Andy Warhol et me confronter au milieu de l’art. Au moment où j’écris ces lignes de l’hôtel de France à Montbéliard – lieu improbable – je me rends à la foire de Bâle présenter ma performance « Le pape des Cerises ». Le risque de me faire éconduire est réel, et je suis bien conscient de mon inconscience. A soixante-six ans, l’excitation reste la même. Le milieu de l’art est devenu ma famille et je jubile à l’idée de m’y replonger avec malice. C’est cela mon grand collectif.

Le sentiment d’une “carrière” exceptionnelle

Quel regard rétrospectif portez-vous sur votre parcours ?

Où vous situez-vous dans les courants de l’histoire de l’art depuis vos débuts dans les années 70 à aujourd’hui?

Il n’y a pas encore eu de grande rétrospective de votre travail qui court sur 50 ans de création picturale et de recherche plastique. Je crois savoir que vous avez notamment un important fond d’atelier. Dans quels musées ou institutions rêveriez-vous d’être accroché ?

Le mot « carrière » m’agace toujours un peu. Je pense avoir suivi un chemin qui ne fut pas une ligne droite. Je déteste d’ailleurs les lignes droites et les terrains plats. Les surprises ne surgissent qu’au détour des virages et de l’autre côté de la colline. La vie est courte, elle ne doit pas être ennuyeuse.J’ai porté beaucoup de chapeaux et vêtements peints ou avec des inscriptions et il m’est arrivé de porter une veste sur laquelle j’avais écrit

« Please, surprise me ».

Entre la naissance et la mort, il y a la vie. Celle des comptables et autres classificateurs doit être bien triste. Moi je vis et je peins, je jouis et je peins. Je ne veux pas en perdre une miette. Les critiques critiqueront, les classificateurs classifieront et les conservateurs conserveront, ou pas… moi j’aurai peint.

En France, deux institutions m’ont consacré des expositions d’envergure, curatées par Alain-Julien Laferrière: le CCC de Tours en 2006 et le Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain en 2020.

Mon égo serait bien titillé par l’idée d’une grande rétrospective.

Dans les années soixante-dix, certains artistes disaient que les musées étaient des cimetières. Finalement, tous ceux que j’ai entendu dire cela se sont escrimés à y placer leurs œuvres. On finit par réaliser que ce sera cela ou le marché aux puces, donc vive le musée qui garde les pièces à l’abri et offre le rêve d’une possible gloire posthume qu’on regardera de l’au-delà.

Je serais heureux de voir mes toiles accrochées dans de nombreux musées mais je dois bien confesser que j’ai un attachement tout particulier pour le Centre Pompidou. J’ai assisté à sa construction, participé à son ouverture avec mon triporteur. Ce sont des moments fondateurs dans ma vie d’artiste.

La Galerie Cerise, Triporteur devant Paris Beaubourg – Paris 1977


L’art de composer des cerises

Vos cerises sont tout sauf des représentations de natures mortes. Symbole du cœur du Christ et pourquoi pas, du cœur de l’artiste, elles sont au contraire très vives et agiles. Sur votre dernière série encore en cours de travail, la petite cerise écarlate et discrète gagne en volume et rondeurs, préciosité et agilité et finalement en présence. Est-ce que cela tient à votre technique? Pouvez-vous nous parler d’ailleurs de son évolution.

Ma cerise est une cerise idéalisée peinte par aplats, technique publicitaire efficace. Les cerises de mes toiles sont toutes sensiblement pareilles mais en même temps toutes différentes. Chaque coup de pinceau est unique et singulier si bien qu’elles se ressemblent mais ne sont pas identiques. Les queues rythment la composition qui reste aléatoire et subversive. Le résultat me surprend toujours, ce qui me réjouit. Certains croient que je me répète, mais ce n’est pas le cas. Plutôt mourir!

Votre dernière exposition ouverte en juin 2021 et visible jusqu’à fin septembre à Saint Yrieix au Musée de la Céramique où vous étiez en résidence, a consacré une autre de vos pratiques récentes, la céramique. Comment vous est venue l’idée ? Et serez-vous amené à poursuivre ou faire évoluer ce travail ?

Invité par la curatrice Maribel Nadal Jové, j’ai entrepris ce travail  avec la porcelaine qui est une nouvelle expérience pour moi. Depuis 1976 je réalise des pinceaux peints/à peindre avec de vraies brosses que je trempe dans la peinture et que je  laisse durcir. Avec l’aide des artisans de La Seynie, une très ancienne entreprise, j’ai réalisé les moulages de plusieurs de ces pinceaux que nous avons ensuite émaillés. Les surfaces lisses et brillantes de la porcelaine sont très séduisantes et sexy. J’ai évidemment très envie de continuer cette pratique.

Pinceau, Email sur porcelaine 24 X 11cm 2021

Quelle est votre actualité, notamment au travers de vos derniers grands formats somptueux et lumineux, développés à la feuille d’or, sur toile ou tôle ondulée ?

Je travaille actuellement sur deux séries « How to fuck a monochrome », des fonds laqués où les cerises sont suggérées avec un minimum de moyens et des pièces en tôle ondulée recouvertes de feuille d’or. J’espère les présenter prochainement. Les propositions surgissent toujours là où on ne les attend pas. Please surprise me.  

Jacques Halbert dans son atelier en 2021


Exposition “Cerises essentielles” jusqu’au 30 octobre 2021 au Musée de la céramique de Saint Yrieix. L’artiste fera des séances de dédicace de son livre  « Moi j’aime les cerises » édité par le Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain, au Salon du livre et du vin à Saumur les 9 et 10 octobre prochains et à l’occasion de l’exposition de ses dernières porcelaines à la Galerie Incognito artclub 16 rue Guénégaud à Paris 6e, en décembre 2021.

Alignement – Acrylique sur toile. 61 X 50,5 cm. 1975
Punkiegoldie – Feuille d’or et acrylique sur toile. 100 X 100 cm . 2020

En tôle ! – Acrylique et feuille d’or sur tôle ondulée. 250 x 200 cm. 2021