Oeuvre d’art ou objet pratique ? Beau ou utile ? Contemplatif ou fonctionnel ? Et pourquoi l’objet de design ne pourrait-il pas être les deux à la fois ? Interview d’Agnès Perpitch.
/// Horya Makhlouf, Anne-Laure Peressin
Quelle ligne esthétique défendez-vous dans votre galerie ?
On est sur une jeune génération d’artistes, on n’a pas de région qui nous touche particulièrement mais plutôt des thèmes. On est une galerie multimédia, on aime la diversité des supports. On navigue entre l’art et le design.
En fait on aime les objets d’art avant tout, on aime créer des liens entre design et art contemporain autour de thèmes comme la nature, le futurisme, l’utopie, la science, le corps humain, la spiritualité… Tous nos artistes se retrouvent autour de ces thèmes avec plusieurs métiers. Nous sommes très attachées au design contemporain, à la sculpture… Mais on aime surtout le design par rapport à notre ligne éditoriale. On défend plutôt une esthétique et des thématiques.
Y a-t-il une tendance qui vous tienne particulièrement à cœur dans le design contemporain ?
En termes de lignes, on aime plutôt les choses épurées, douces, linéaires, qui font toujours référence à des thèmes futuristes. Pas au sens du mouvement artistique mais qui s’inscrirait dans la production du futur. On travaille avec Vincent Fournier, qui est obsédé par tout ce qui est espace, évolution des espèces : il a fait une série très belle sur Brasilia, toujours à la frontière entre design et photo puisque le design y est magnifié par la photo. Son travail plaît beaucoup au PAD ou au MET, qui en achète pour ses nouvelles salles, et qui va bien avec les objets de design que le musée y expose. Il y a chez lui un vrai propos artistique, on n’est pas sûr de la décoration, mais on reste sur l’univers du design, lié au Bauhaus.
En ce qui concerne les nouveaux matériaux, Vincent est à l’origine photographe mais il crée de plus en plus avec des supports différents. Il crée beaucoup avec l’impression 3D : son nuage 3D (Les Fantômes du vivant) est une prouesse technique et technologique, qui revient toujours avec nos thèmes. Tout est lié : les supports artistiques de nos artistes et les thèmes que nous défendons. La nature guide toujours nos artistes, et ce plus en termes d’inspiration.
Plus généralement, quelle place tient aujourd’hui le design dans l’intérieur des collectionneurs ?
On ne peut pas vraiment parler de côté décoratif : même chez les « purs » designers que nous exposons, toutes les œuvres que nous présentons sont en édition limitée. Elles gardent un coté d’objet d’art, très unique. On se situe vraiment entre l’objet d’art et la sculpture.
Regardez Philippe Nacson : ses lampes design s’inscrivent vraiment à la frontière avec la sculpture. Elles ne sont pas seulement créées dans le souci d’éclairer.
En ce qui concerne la place du design dans l’intérieur, on pense que c’est justement de jouer ce rôle d’objet unique qui va se placer comme un vrai objet d’art, utilitaire effectivement, mais avec toujours cette dimension de pièce « unique », qu’on a achetée dans une galerie et qu’on ne pourra pas retrouver chez Laroche Bobois ou d’autres grands distributeurs.
A qui s’adresse le design contemporain ?
Le design est une porte d’entrée plus facile peut-être pour les jeunes collectionneurs, qui ont une sensibilité à l’art mais y entrent plus facilement par le design, par son coté utilitaire.
Mais notre public est très varié. Pas de génération ou de nationalité en particulier se détachent.
D’autant qu’on peut très bien mélanger le mobilier ancien et contemporain. On a beaucoup d’architectes d’intérieurs qui aiment ces mélanges de matières, d’époques, un tableau moderne avec du mobilier ultra design ou inversement. Il arrive que des architectes d’intérieur viennent nous dire qu’ils ont acheté une console 18e avec une œuvre de Joran Briand. C’est une clientèle un peu différente du coup parce qu’il s’agit de professionnels.
Les architectes d’intérieur aiment beaucoup travailler avec des galeries d’art. On est dans cet esprit là aussi d’oser les mélanges, les supports artistiques. Un particulier aura moins l’audace d’oser ce mélange de pièces.
Le design contemporain, avec un grand monsieur comme Starck par exemple, c’est savoir faire aussi bien une petite cuillère qu’un immeuble entier. Et on retrouve le design dans des objets usuels et faciles d’accès. C’est pour ça que ça s’adresse à tout le monde, et nous ce qu’on propose en plus c’est l’aspect édition limitée. Mais le design s’intéresse à tout le monde.
Prenez l’exemple de Joran Briand : il existe des studios de design aujourd’hui qui réalisent aussi bien des façades de bâtiments (MUCEM) que des tapis, avec le même motif. Ce motif est obsédant pour Joran et il en devient presque sa marque de fabrique.
C’est vrai qu’en termes de public c’est assez large.
Savez-vous pourquoi les visiteurs entrent dans votre galerie ?
Les visiteurs viennent par curiosité, par goût, pour le nom, parce qu’ils suivent l’artiste… Mais surtout, les gens qui nous suivent aujourd’hui connaissent les thèmes de notre galerie, et comme ils se manifestent chez chacun de nos artistes de façon différente, ils aiment surtout voir le dialogue.
Au delà d’un pont c’est un dialogue et aussi un goût, une esthétique qu’on cherche à véhiculer. Mais c’est vrai que le mot pont est très bien.
Un artiste incontournable ?
Il y a Joran Briand et Philippe Nacson, qu’on aime beaucoup. Pour moi, je ne sais plus quel designer a dit cela, mais « il faut aller de la petite cuillère à l’immeuble entier », c’est vrai que Joran on le trouve génial. Après il y a aussi beaucoup de designers ou de studios qu’on aime, DRIST par exemple. Mais celui sur lequel on mise et qu’on trouve incontournable, et qui va le devenir encore plus on pense, c’est bien Joran.